1603 - Voyage à l'Est (19), 25 octobre, Nuremberg, Strasbourg, ****

Publié le par 1rΩm1

 

 

Voyage à l’Est

[récidive]

Journal extime

(Mitteleuropa, 12 octobre - 25 octobre 2023)

 

19

 

25 octobre

Je quitte sans regret l’appartement de R. Car, ce qui m’arrive peu souvent, je n’ai pas trouvé mon hôtesse sympathique. La trouver piaffant d’impatience lors de mon arrivée, ainsi que déjà raconté, a pu, certes, jouer. Le tour, ô combien rapide, qu’elle a effectué des lieux en mentionnant l’excellent café que je pouvais me faire (du café moulu, des plus banals en vérité) souffrait d’une omission cruciale : si elle m’avait dit où se trouvaient le porte-filtre ainsi que les filtres en papier, en effet, je n’ai jamais pu mettre la main sur un récipient qui aurait pu faire office de cafetière, même improvisée ! Elle avait également claironné avoir nettoyé ma chambre, ce qui m’avait paru la plus élémentaire des choses. Je crois aussi qu’elle s’est arrangée pour ne pas me revoir durant tout mon séjour. A mon retour le premier soir, la vaisselle n’était pas faite — et demeurée telle entre-temps, alors que, naturellement, je m’étais acquitté de la mienne la veille, au petit-déjeuner comme au dîner. Le premier soir, après qu’elle est rentrée, elle est restée porte fermée dans ce que j’imagine sa chambre. Bref, R. ne m’a plu. Comme elle ne paraissait pas, j’ai toutefois laissé un message de remerciement en toute fin de matinée, avant, tous bagages faits, de définitivement m’effacer.

 

Matin

Le magasin dans lequel je comptais essayer un pullover en cachemire que j’avais repéré la veille n’ouvre, ainsi qu’en informe une affichette, exceptionnellement ses portes qu’à 11 heures : je renonce donc à son achat.

Puisque je dispose d’une quarantaine de minutes seulement, c’est au grand galop et sommairement que j’explore le Deutsches Museum zur der Kunfunkt. Ses dispositifs interactifs passionnent les adolescents venus là en groupes. Pour ma part, je ne sacrifie guère, faute de davantage de temps, sinon d’envie, aux sollicitations des écrans, boutons, manettes et autres joysticks.

En vérité, il me paraît que c’est moins d’avenir que ces installations nous parlent que du présent — tandis que le futur envisagé risque d’être démenti par des manifestations intempestives, naturellement d’un tout ordre, peut-être mortifère, à rebours de la “littérature” empreinte de technocratie béate dont nous gavent placards et affichettes.

1603 - Voyage à l'Est (19), 25 octobre, Nuremberg, Strasbourg, ****
1603 - Voyage à l'Est (19), 25 octobre, Nuremberg, Strasbourg, ****
1603 - Voyage à l'Est (19), 25 octobre, Nuremberg, Strasbourg, ****

Tout aussi naturellement, on nous engage à une réflexion pédagogique sur les conditions d’une planète propre et durable, à un développement soutenable, non sans faire preuve d’un solide optimisme qu’ouvriraient les perspectives d’une technologie maîtrisée et bienveillante, sinon altruiste… Et de me demander sournoisement combien coûte en énergie un tel musée, bientôt promis et rendu pourtant à l’état d’antiquité — pour ne rien dire, puisque nous sommes à Nuremberg, pour les hypothèses les plus sombres, de possibles champs de ruine !

Nuremberg à l’issue de la Seconde guerre mondiale (photographie prise la veille au Stadtmuseum im Fembo-Haus)

Nuremberg à l’issue de la Seconde guerre mondiale (photographie prise la veille au Stadtmuseum im Fembo-Haus)

 

Après-midi

Je m’exerce mentalement à un trajet qui devrait me prendre huit heures. Encore des correspondances — à Karlsruhe, à Strasbourg — me distrairont-elles au cours du voyage.

Je ne sais de quelle instance protectrice j’ai pu bénéficier durant mon séjour, mais les contrôleurs (de train, de métro, de tram…) n’ont jamais demandé mon billet (sauf à l’aller, entre Strasbourg et Munich, ainsi que pour me remettre dans la bonne direction quand je filais involontairement vers Esztergom) : leur regard glisse comme si j’étais proprement invisible, ce qui vient encore de se produire à l’instant… A Budapest, je m’étais dit que, peut-être, on m’accordait la gratuité sans plus barguigner, celle-là même qu’on accorde aux plus de soixante-dix ans (¡)… Mais non, il faut croire que je suis devenu désormais transparent à tous — alors que je voudrais, moi, que des jeunes gens sémillants me remarquent ¡…

Je songe à nouveau que les Allemands se sont avérés autrement plus amènes que les Tchèques ou les Hongrois : sans doute la raison en est-elle que ces derniers sont envahis par des nuées de touristes à l’avidité et l’impudence de corvidés insatiables !

Dans les paysages qui passent sous mes yeux, il me semble voir plus de champs couverts par des panneaux solaires que partout ailleurs — et davantage, par endroits, que des champs exposés dans leur nudité (façonnés au demeurant, c’est entendu, par la main impitoyable des hommes — j’y reviens —, rend[us] comme maîtres et possesseurs de la nature)…

 

Il faisait beau à Nuremberg au début de la matinée. Depuis, il pleut continûment sur ce train, ce qui aggrave l’impression de monotonie et de longueur du trajet — car il se traîne, décidément, ce train, étirant tant et plus les minutes…

 

Milieu d’après-midi, Strasbourg

Tous les trains que j’aie prendre durant ce voyage auront eu du retard… Je me félicite de n’avoir pas pris la correspondance qui aurait pu me ramener une heure tôt à **** puisque je l’aurais proprement ratée.

La Place de la gare — j’ai dormi là il y a bien longtemps dans un hôtel que je serais bien en peine de reconnaître avant d’aller à Marseille (où va le TGV dont je viens de descendre) — me paraît assez laide, très peu accueillante, pas seulement parce qu’il y pleut sans discontinuer. Le premier bar dans lequel j’entre ne propose pas de bière qui me plaise, pas même en bouteille. Je m’aventure donc dans une rue piétonne perpendiculaire et m’installe dans un estaminet qui paie guère de mine mais dont la gérante se montre accueillante auprès des clients, pour la plupart des habitués. Je trouve étrange et comme dépaysant d’entendre parler français et de comprendre ce qui se dit.

Si j’ai peu lu au cours des deux dernières semaines, j’ai beaucoup écrit, et, partant, j’aurai beaucoup à retranscrire. A présent, il me faudra de nouveau beaucoup parler aussi, aussi bien que possible, alors que je ne verrai pas l’orthophoniste avant deux semaines…

A travers la vitre de ce bar, puisque je suis à Strasbourg, je joue à ne pas reconnaître Julien : trop blond, trop grand, trop gros, trop laid, trop vieux… trop d’un autre sexe… et ainsi de suite.

Plus tard, dans le train qui, cette fois, me ramène jusque chez moi, je continue mes rêveries. Dans le compartiment où je suis, Julien se trouve parmi les voyageurs… Il est surpris et content de me voir. Décidément, j’ai trop aimé ce garçon, qui m’est entré violemment dans la tête — et risque fort de n’en jamais ressortir. Loin d’en souffrir désormais, je trouve lénifiante ma songerie, ainsi que l’est le roulement du train accompagnant mes pensées…

*  *  *

Et je débarque à l’heure enfin à la gare de ****, pressé de rentrer chez moi et, rattrapé par toutes les trivialités, impatient de dîner.


 

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