1267 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie… (22)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si tant est que ce ne soit (toujours) pas

une maladie

Carnets d'un rescapé

(Journal extime)

Work in progress

 

22

 

1267 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas  une maladie… (22)

 

29 novembre 2020

J’ai laissé mon journal en jachère ces jours derniers.

 

Mercredi 25

Nous déjeunons ensemble, M.-C. et moi.

Je lui avoue mon passage à vide.

Elle compatit. Plus tard, cependant, elle se lance dans un développement concernant les malheurs survenus aux ancêtres, à ses aïeuls en particulier. Je réplique que, naturellement, nous ne sommes pas livrés à des situations telles qu’en Syrie ou qu’au Liban — pastichant le mot de la chanson : « c’est pas forcément la misère, c’est pas Valmy, c’est pas Verdun… », plus approprié à nos descendants qu’aux habitants ou exilés de ces pays, même si mon grand-père paternel avait fait son service militaire dans les années vingt du siècle précédent — tout en m'irritant de ne pas trouver les mots ni les équivalents justes pour dire cela.

Nous retrouvons T., Marthe et Paul au Parc S***. Le cœur n’y est guère. Comme le froid commence à gagner nos corps, nous déambulons. Mais c’est pire encore : entre le chien qui tire Paul à gauche et à droite ou stationne intempestivement, Marthe qui chemine avec des lenteurs qui nous obligent soit à l’attendre, soit à ajuster nos pas sur le sien, nous devons continûment nous rapprocher ou éloigner en fonction des aléas ou des conversations des uns ou des autres… Je me reproche in petto de ne pas savoir bien profiter de l’instant ; mais M.-C. me dira plus tard avoir, elle aussi, trouvée exaspérante cette balade à cinq, réglée par les contingences.

 

Jeudi 26

Je déclare sans ambage à l’orthophoniste que je ne porte pas très bien et que je n’entends pas poursuivre l’exercice de logique qui m’a occupé plusieurs heures lors des séances précédentes.

Nous nous adonnons donc à des entraînements d'élocution, qui me font conclure à un état stationnaire de mes capacités. Cela ne joue d’ailleurs pas pour peu dans mon découragement du moment.

 

Vendredi 27

Visite à ma mère, que je n’avais pas vue depuis près de quinze jours. On ne peut se rendre dans sa chambre, elle est conduite (en fauteuil roulant) dans une « salle de réception » proche de l’entrée générale de la maison de soins. Nous patientons pourtant presque un quart heure.

Mon père a donné quelques instructions à la très jeune fille de l’accueil, concernant le linge à rapporter, ainsi que les dentiers à faire chausser à ma mère.

Son état s’est nettement dégradé. Elle a un air hébété, que confirme son attention, bientôt des plus flottantes. Elle réclame à boire. La jeune fille, empressée, lui porte un verre d’eau. Nous nous apercevons qu’elle porte ses lèvres au gobelet qu’elle a pris dans sa main sans jamais boire, sinon un quantité d’eau infime. En vérité, elle ne sait littéralement plus boire : ni la tête ni le coude n’accompagnent son geste. Quand mon père, sur nos injonctions communes, réussit à lui faire absorber enfin du liquide, elle vide presque coup sur coup le contenu de quatre gobelets.

Nous nous demandons alors combien de temps elle est demeurée sans boire — et concluons qu’elle est tout bonnement déshydratée.

Nous nous apercevons aussi qu’elle tient à peine sur ses jambes. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas marché ? Elle se hisse avec bien des difficultés sur ses pieds ; puis, le dos exagérément incliné, ne parvient plus à se maintenir debout. Ce n’est à nouveau que par nos instructions qu’elle réussit à se lever de son fauteuil et et à s’écrouler presque aussitôt dans un autre fauteuil, distant tout au plus d’un mètre.

Je ne commente pas — je ne veux pas surenchérir sur mon propre désarroi, ni sur celui que je devine chez mon père —, mais je suis comme sidéré.

 

Samedi 28

Premier jour des assouplissements apportés à ce « deuxième confinement » — et qui nous sort de l’orbe d’un kilomètre en même temps que l’ornière d’une heure unique.

M.-C. nous a invités, Marthe, Paul et moi (T. a décliné l’invitation), chez elle à S***, vin chaud et tarte aux pommes à la clé de ce novembre qui s’attarde.

Paul entend faire une promenade. Or, Marthe, qui souffre d’un mal de dos dont elle peine à se débarrasser — sans doute n’est-elle pas si persévérante qu’elle en vienne à bout (ce que lui reproche Paul assez rudement) —, proteste qu’elle ne pourrait nous accompagner. Je propose donc de lui tenir compagnie, tandis que Paul et M.-C. se promèneront avec le chien.

Je m’aperçois bientôt que Marthe ne va pas très bien, qu’elle vit assez mal ce « deuxième confinement ». A tort ou à raison, je meuble la conversation — à tort, en fait, certainement, puisque j’aborde les sujets de préoccupation des jours précédents ! Ainsi, quand elle me parle de sa sœur, je lui parle de ma mère, ce qui pourrait vouloir dire — je ne m’en rends compte qu’ensuite — que celle-là est moins à plaindre que celle-ci. Et de me reprocher ma maladresse.

M.-C. et Paul rentrent, apportant une diversion.

La tarte de M.-C. est très bonne. La conversation suit un cours plus ordinaire dans lequel chacun suit ses marques.

Nous nous quittons trois heures plus tard, contents du moment que nous avons partagé.

 

 

Dimanche 29

Nous déjeunons, comme tous les dimanches, mon père, ma sœur et moi.

Mon père nous fait état de ses inquiétudes à propos de ma mère. Il s’interroge encore s’il entrera à l’hôpital début janvier.

Pendant que nous conversons, Judith a appelé sans que j’entende son appel.

 

Je tombe dans une de ces trappes que constituent nos siestes (« nos » est sans doute abusif), qui semblent contenir les vies qui nous sont dérobées et dont nous n’avons pas conscience par la suite, sinon de la chape qui les recouvre.

Judith rappelle. J’en suis content, puisque je m’étais promis de le faire. Nous conversons — moi davantage qu’elle, mais elle manie sa “maïeutique” habituelle — une demi-heure. Si, dans ses études, Laure est passée par un passage à vide — elle a besoin de bénéficier de la présence du groupe, que les circonstances ne permettent pas —, Lucien paraît aller mieux. Seul N. persiste et signe : il ne comprend pas ses enfants, regrettant en quelque façon de les avoir engendrés — puisque, de fait, il ne les comprend pas…

Judith prétend faire face, et je crois à ce léger mieux par rapport à notre toute dernière conversation.

Entre-temps, T. a répondu à une proposition que je lui ai faite de nous voir soit chez lui, soit chez moi. Il hésite encore, mais je crois possible de le persuader de nous rencontrer.

(Voulant combler mon retard de quelques jours dans la retranscription de l’“écume des dernières journées”, je prends conscience que j’ai noirci trois pages de griffonnages, réduits pourtant primitivement à l’état des notes ! Je ne comblerai jamais la rédaction de ce journal… celle-ci accusant de plus en plus de retard dans la latence de moments à retracer… alors que je n’ai que si peu à dire — ce qui est à désespérer de surcroît !)

 

 

 

 

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