1523 - March in Paris (8)
Journal extime
(19 mars - 26 mars 2023)
8
Jeudi 23 mars
Matin
Mokhtar, l’éléphant d’albâtre offert la veille par Malika, vient de trouver son nom : Khadija, en effet, m’a demandé de le baptiser, et, comme je suggère ce prénom, et que, Khadija ayant consulté la signification des prénoms arabes, Mokhtar signifie « choisi », le nom paraît tout désigné.
Une douleur gingivale, difficile à localiser exactement, me prévient d’un abcès dentaire. Il me semble que ma joue droite est quelque peu enflée à l’endroit que doit représenter le trajet du nerf entre l’œil et la commissure de la lèvre. Consultée, Khadija confirme ce gonflement ; j’appelle donc le cabinet dentaire pour avoir un rendez-vous dès mon retour. La secrétaire en transmettra la demande au dentiste et me rappellera aussitôt que celui-ci lui aura précisé un créneau horaire.
Nous partons en avance en prévision des perturbations dues à la grève et aux manifestations. De fait, l’autobus 96 interrompt son trajet à hauteur de l’Hôtel de la ville. Nous poursuivons avec la ligne 4 jusque Denfert-Rochereau. Et sommes finalement en avance. L’accès au métro est en accès libre, de sorte que nous sommes dispensés d’utiliser un ticket.
Je reçois un message de Judith, en retard comme à son ordinaire. Nous lui donnons rendez-vous près de la Place Denfert-Rochereau dans un bar nommé « café du rendez-vous » — nom qui s’impose à nouveau.
N. n’est pas venu. Judith explique à Khadija les comportements autistes de son compagnon et fait à son sujet un assez long développement, avec l’humour qui la caractérise.
Je sens très vite s’installer la sympathie entre elles deux.
L’allongé de Judith bu, nous nous rendons à l’Institut Giacometti pour visiter l’exposition temporaire, Jardins de rêve, à propos du « travail d’Alberto Giacometti et de Salvador Dalí autour de la création d’un jardin imaginaire au tout début des années 1930 ».
Des murets de poubelles amoncelées se dressent devant les maisons rue Victor Schœlcher. Judith désigne à Khadija l’immeuble, tout proche, où a habité Simone de Beauvoir. Elle l’invite à regarder le pavillon de l’institut tout en donnant à son propos quelques explications avisées.
A l’entrée, la jeune femme nous dit que, le système informatique étant défaillant, l’accès aux lieux sera gratuit.
Portrait d'Alberto Giacometti, c. 1931, Photo : Jacques-André Boiffard, Archives Fondation Giacometti
René Crevel et Marie-Laure de Noailles, Paris, 1930, Photo : Rogi André, Bibliothèque Nationale de France, Paris
Salvador Dalí, Parc d'attraction, c. 1932, Projet commun avec Alberto Giacometti intégrant Boule suspendue, Collection particulière
Khadija se montre d’emblée conquise. Pendant que Judith visite les lieux de son côté, elle me désigne une lettre manuscrite de Benjamin Péret, en prétendant que j’ai la même écriture. En vérité, la sienne est microscopique en regard de la mienne, pourtant petite, même je puis admettre des hampes et jambages chez moi assez similaires.
Nous retrouvons Judith devant le mannequin inspiré de Man Ray. Judith désigne à Khadija les toilettes.
Reconstitution documentaire de Mannequin (1932-1933) réalisée en trois dimensions d'après photographies 3D
Salvador Dalí, Dormeuse cheval lion invisibles, 1930, Huile sur toile , Centre Pompidou - Musée national d'art moderne
Ensuite, dans les libres circuits que nous accomplissons les uns et autres, c’est en compagnie de Judith et à son instigation que je feuillette un livre d’art consacré à Paul Follot, prenant à sa demande un cliché de l’ouvrage.
Judith rêve un instant au piano à queue non pas que ce dernier possédait, mais à celui du Normandy reproduit dans ces pages.
Je poursuis la visite avec Khadija, rattrapée entre-temps dans la pièce attenante.
Bientôt, le trio est reformé, et Judith demande à la jeune fille toute fine et jolie, vraisemblablement lesbienne si l’on en croit ses airs de “garçon manqué” (et si l’expression a un sens) ce qu’il a pu advenir du piano du propriétaire des lieux. Celle-ci, après un instant de réflexion, assure qu’il se trouve au Musée des Arts décoratifs — ce que je doute à part moi, ne l’ayant jamais vu là, celui dessiné par Emile Gallé ayant été donné au musée par son décorateur, Louis Majorelle, même s’il est bien sûr possible qu’il se trouve dans les réserves…
(à suivre)