1294 - De l’Âge - considérations diverses

Publié le par 1rΩm1

 

3 février 2022

T. me prévient : c’est le dernier jour pour obtenir le “pass” (celui-ci s’écrit sans —E) qui me donnera la gratuité durant trois années encore dans les musées (nationaux).

L’ironie veut que sur la photographie que je fais faire sur-le-champ — je ne l’ai pas vérifiée en chaussant mes lunettes —, ma binette, en six exemplaires, apparaît comme tremblée (plutôt que floue). De quoi détester cette effigie au crâne de plus en plus dégarni — les photos précédentes dataient de Naples 2013, quand j’ai perdu ma carte d’identité —, à la face de plus en plus chiffonnée, aux sourcils poivre et sel mêlés (le cou, fripé, est couvert par le cache-nez), à l’air patibulaire exigé par les normes en matière d’identité

 

Auprès de la secrétaire, l’accueil me paraît, sinon froid, du moins mitigé. J’ai peut-être l’air embarrassé, qui plus est : de fait, ma requête me met mal à l’aise. Je n’apparais pas, en outre, sur la liste des personnels de l’établissement. Un coup de fil est passé : l’interlocutrice certifie que j’appartiens encore au corps enseignant, que mes droits ne sont pas suspendus pour cause de congés de (longue) maladie. Je me demande un instant si ce n’est pas pour cette toute dernière raison que la secrétaire s’est montrée moins cordiale que d’ordinaire — qu’elle m’a battu tiède ou mitigé. Pendant que les autres travaillent, certains, doit-elle penser, se la coulent douce et parcourent même les musées…

Une ancienne collègue survient, avec laquelle j’avais eu naguère maille à partir. Elle ne me reconnaît pas immédiatement, semble-t-il, derrière le masque. Puis se montre compassionnelle — voix flûtée, prunelle élargie, cependant que le masque m’épargne le sourireen m’interrogeant sur mon état de santé. Je suis encore intérieurement énervé du délai avec lequel le sésame muséal m’a si péniblement été établi, ce qui me rend plus que jamais bègue, et la comédie sociale que joue la collègue à présent contribue à m’agacer… Je m’enhardis cependant assez pour demander des autotests en arguant de la troisième dose (pour laquelle j’ai reculé le plus possible l’échéance) que je dois me faire administrer le 16 février — et en songeant également à la nouvelle “polysomniographie” que je dois subir la semaine suivante.

 

Je sors de là avec l’impression de la liberté recouvrée — celle qui m’exempte de grimaces et de contraintes auxquelles je n’ai désormais à obéir que très exceptionnellement, comédie qui m’est revenue durant le petit quart d’heure passé dans ce bureau. Le souhait vif d’être définitivement invalide ou retraité s’en trouve exaspéré — de n’avoir, somme toute, de comptes à tenir à personne — alors que je m’éloigne de l’établissement où j’ai tiré quelquefois sur la laisse, et ce, pendant quelque dix-huit années. Il me semble que je gambade alors, tout en marchant.

 

*  *  *

 

Je joue ensuite au vilain bonhomme auprès du libraire (peu amène) à qui je me fais désigner ce que je cherche — et qui finit par se lever (je me crois un instant confronté à un des bibliothécaires du poème de Rimbaud, les Assis) et me tendre les volumes demandés. (Je n’explique pas que la buée fait écran entre l’étal des “nouveautés” et moi.) Contrairement aux quelques clients entrés là, je n’entends pas m’attarder, ni flâner parmi les rayons, ne n’encombrant dorénavant plus de livres — depuis mon dernier déménagement, où je m’étais éreinté à porter des livres que, pour la plupart, je ne relirai jamais.

Le libraire prend un temps infini pour empaqueter les romans que je destine à mon père pour son proche anniversaire. Entre-temps, deux chalands se sont présentés à la caisse, et je sens leur impatience que s’achève ce paquet si long à m’être délivré

 

Et j’écris ceci (son premier jet) dans un café où je commande une bière en rêvant d’être mort ou transparent au corps social — d’en être délié, pendant que je vaquerais dans quelque bar ou que j’arpenterais quelque musée, ne crachant qu’un peu d’encre pour rétribuer quelques rares lecteurs, comme seule raison d’être que je me trouverais, en attendant que de disparaître tout à fait dans le silence qui suit l’adagio d’un quatuor (tel que celui j’écoute en reprenant ces lignes — en l’espèce, le deuxième mouvement du neuvième quatuor à cordes de Shostakovich…) ¡

 

1294 - De l’Âge - considérations diverses

 

 

 

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