836 - Journal d'un conscrit (24) [in memoriam J.-M.]

Publié le par 1rΩm1

836 - Journal d'un conscrit (24) [in memoriam J.-M.]

24 mars 1984

Même lieu, autre moment, autre ambiance, autre état d’âme.

Il faut dire que, ce matin, je suis parvenu à dormir un peu, ce qui m’a donné la première nuit normale depuis bien longtemps. Il n’y avait personne dans la chambre, et ce calme vécu a semblé très bienvenu.

J’ai commencé une — très certainement bientôt très — longue lettre pour Frédérick, qui devient mon correspondant privilégié (après S. ?), parce que, sans doute, ce que je pourrais écrire à Jean-Paul (ce manque d’adresse est vécu très douloureusement, mais, en même temps, cela évite de se “compromettre” trop tôt) n’est pas sans avoir partie liée avec ce qu’à son propos j’ai pu écrire déjà… J’ai envoyé à S. une courte lettre, qui lui parviendra avant qu’elle parte une semaine « dans le sud », en compagnie de P. Mais, de manière générale, quoique je sois « bloqué » ici pour quinze jours, ma correspondance va s’arasant. Il est vraisemblable que ma « semaine de détente » y est pour quelque chose — elle m’a redonné le “rythme [de ****]”, dans lequel, en effet, j’ai glissé sans difficulté aucune. Ma “lettre-journal” destinée à Raymonde reste en panne muette — parce que, je pense, une correspondance se passe difficilement d’interlocuteur : ne pas recevoir de lettre n’est pas grave si l’on se voit régulièrement, mais sans cela…

 

Oui, j’ai dormi ce matin. Un composé de rêves agréables et désagréables m’a porté sur les bras, dans un balancement de songes qui allait d’ici à là-bas, comme dans la rêverie romantique. Comme les cauchemars ont également, paradoxalement, une fonction de plaisir (en ce qu’ils évitent, généralement, un déplaisir plus grand encore), je suis sorti rasséréné de mes songes, presque neuf, et plus souple, plus décontracté. J’arrive à la moitié de ce séjour “intra muros” avant de parcourir l’asphalte [de ****], c’est bien déjà, même si — je puis me leurrer là-dessus — le pire est à venir, ainsi qu’à craindre.

 

Je vous verrais bien volontiers vendredi prochain. Que ferez-vous ce jour-là ? Si je ne suis pas trop épuisé en sortant de la « manœuvre », je vous téléphonerai jeudi soir prochain. Sinon, je le ferai vendredi en rentrant…

 

Il pleuvait, ce matin. Il ne pleut plus, mais l’air est saturé d’humidité. La température extérieure a baissé. Cela a des promesses pour longtemps. La boue sera bientôt au rendez-vous. Il fallait au moins cela. Une « manœuvre » se doit d’être honorée de ce genre d’aléas. Ainsi soit-il.

Je doute de pouvoir écrire lors. Et même si je le puis, difficile paraît de pouvoir poster une lettre en pleine brousse champenoise. Si bien que je vais tenter de boucler ce courrier.

D’ailleurs, je n’ai plus grand-chose à écrire. Mon angoisse de vivre avec une arme dans les mains pendant trois jours pleins ne vous concerne pas. [En revanche], je vous laisse méditer la “question Jean-Paul”, ne serait-ce que par plaisir des “constructions de l’esprit” — bref, je vous fais confiance puisque, de toute façon, je suis incapable d’y voir clair par moi-même !...

 

Je suis tout à ****, pieds et poings liés (des cernes au cerveau, de plus). Je vous y verrai avec plaisir.

 

En attendant d’y être, je vous embrasse.

 

Romain

 

 

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