Archives GA - Ce que je sais et ignore de J.-M. en douze clichés photographiques (8) - CDX - CDXI - CDXII

Publié le par 1rΩm1

 

CE QUE JE SAIS et CE QUE J’IGNORE de J.-M.

en DOUZE CLICHES PHOTOGRAPHIQUES

 

8

 

J.-M. dans son premier appartement

 

 

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Cette fois, le décor m’est familier. C’est celui du premier appartement de J.-M. J’en reconnais les portes, peintes en laque bleu marine et tapissées d’un papier à carreaux blancs, rouges et bleus. La cuisine, dans laquelle j’ai mangé tant de fois, était orange. Souvenirs de moments heureux, innombrables.

Figurent sur ce cliché Pascal et V***, elle près de lui, évidemment complices, l’un et l’autre penchés sur un objet inidentifiable (cela ressemble à un calame, à un pinceau, à des baguettes... ?) sorti d’un carton. L’objet semble solliciter l’interrogation ou la surprise de V*** — et les rires des deux garçons. Une histoire semble circuler sur cet objet insolite, ou qui leur rappelle des souvenirs.

(J’ai effacé — en le “rognant” avec un logiciel de retouche d’images — un troisième personnage dont on ne voit qu’une amorce : une main qui tient une cigarette, une partie du bras et de l’épaule. Cette main pourrait être la mienne — et m’appartenir, la chemise blanche…)

 

J.-M., chevelu et barbu, au centre de la photo et de profil, en chemisette blanche, une écharpe en cotonnade ou soie blanche passée sans être nouée autour du cou, semble beaucoup s’amuser de la situation.

Il est très beau sur ce cliché, toute la lumière (le mur est blanc répercutant ainsi la lumière d’un flash) convergeant sur lui. Il porte un pantalon rouge — tout comme V*** d’ailleurs, laquelle a un tee-shirt blanc, d’où des rappels de couleur entre elle et lui, que prolonge le papier peint de la porte.

Au mur, une peinture indonésienne, que je ne crois avoir vu réapparaître d’un déménagement l’autre.

 

*  *  *

 

J’ai gardé une très forte nostalgie de cet appartement et du mien d’alors, un appartement pourtant bien inconfortable, dont une pièce était borgne, et les portes, semblablement peintes dans une peinture glycérophtalique bordeaux, les panneaux en relief recouverts aussi de papier peint : ce devait être une mode à l’époque (comme, indéniablement, l’orange alors, pour les cuisines...).

En fait, ce n’est évidemment pas de nos appartements dont j’ai la nostalgie — quoique celui de J.-M. m’apparût alors comme plus grand et presque luxueux en comparaison de celui que j’occupais, lui déjà installé dans l’existence, moi étudiant louant, dès dix-huit ans, un appartement “sans confort” au loyer dérisoire de trois cents francs chauffé dans deux pièces par un convecteur électrique, dans la cuisine, assez grande, par un poêle à fuel qui tirait mal et sentait mauvais (je me souviens d’un hiver particulièrement rigoureux où, la tonne à fuel étant vide, il fallait que je m’approvisionne à une station-service, rapportant à pied et couvrant une distance d’un kilomètre et demie au moins un jerrican de dix litres bientôt parti en fumée ; je me revois traversant l’étendue blanche de ce cours recouvert d’un drap épais de neige où se trouvait la station-service — ce cours où, la nuit, comme des scarabées infatigables, des voitures aux élytres sombres tournaient, prenant dans le faisceau jaune de leurs phares d’autres insectes venus chercher aventure, ce cours qui donc avait d’autres attraits, auxquels, tel un phalène égaré là, il m’arrivait de me cogner...) —, ce n’est pas non des lieux que nous habitions dont j’ai la nostalgie (ni même, sinon à peine, des passants du cours ou des conducteurs), mais de la vie qu’alors nous menions.

 

Car J.-M. et moi habitions le même quartier, à moins de deux cents mètres à vol d’oiseau. La porte d’entrée de mon immeuble ne fermait pas : on pénétrait comme on voulait dans le bâtiment. Combien de fois J.-M. a pu frapper chez moi et s’inviter à boire un apéritif, avant d’être convié à dîner. Il n’était pas en reste : si je sonnais chez lui, j’étais presque assuré d’avoir le couvert, plus souvent encore.

Nous nous rencontrions aussi au supermarché de la place où lui habitait. On s’invitait pareillement à dîner alors. (Je fuyais pourtant J.-M. dans ce lieu, refluant chez moi et venant chez lui plus tard, ou allant préparer à dîner si c’étaient Pascal et lui qui venaient chez moi : il faisait ses courses avec une inouïe lenteur, détaillant tous les rayons, lisant la composition des produits et comparant les prix, et, pour m’être fait prendre à ce piège une ou deux fois où je trépignais d’impatience qu’il en ait terminé, je savais bien qu’il ne fallait pas s’attarder, ni attendre qu’il ait fini de se livrer à ce minutieux examen…)

 

*  *  *

 

Ce trio (celui de la photographie dans laquelle je m’abîme, cherchant à pénétrer le secret du mystérieux objet qui l’anime) a aussi parfois fait des voyages — même si les relations entre J.-M. et V*** étaient souvent orageuses, puisque Pascal occupait le sommet d’un triangle. En Grèce. En Egypte. Ils en ont rapporté des objets qu’ils m’ont offerts — tel sans doute celui sur lequel V*** se penche. Ces objets me restent et me suivront quoi qu’il arrive.

Le verso de la photo est vierge. Elle a plus de trente ans. Elle en porte les traces, d’ailleurs : la trame du papier photo, son grammage irrégulier et comme intissé, les couleurs qui s'exaspèrent dans les vif et sombre, le piquetage des points blancs qui se sont concentrés sur le couple que forme Pascal et V***.

Dans ce salon se trouvent cinq personnes. Je ne peux être l’auteur de la photographie, n’ayant eu d’appareil que récemment ; je le serais d’autant moins que je crois y figurer. L’hypothèse la plus vraisemblable serait que E*** l’ait faite. Auquel cas j’aurais un souvenir très précis de cette soirée, non pas à cause de lui, mais en raison d’un flirt improbable — mi-joué, mi-sérieux — entre V*** et J.-M. 
L’époque était-elle au flirt et à l’insouciance ? Il se peut. Il se peut aussi que la mémoire enjolive.

 

(Quand il verra ce cliché, Pascal certifiera — ou presque — que c’est mon bras, ma main que l’on voit : la façon dont je tenais ma cigarette était caractéristique, selon lui.

Je m’aperçois seulement aujourd’hui que ce qui fait rire les deux garçons n’est vraisemblablement pas que l’objet qu’examine V***, mais sans doute aussi cette vieille plaisanterie qui consiste à emballer un très petit objet dans un très gros carton...)

 

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