1091 - Carnets d'un confiné (26)

Publié le par 1rΩm1

 

 

CARNETS d’un CONFINÉ

 

 

26

 

[Journal pas toujours extime]

 

 

(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)

 

 

9 avril

Matin

Mon mal de tête a disparu. J’attribue le point névralgique à un excès de bière et de vin la veille : j’aurais mieux fait de regarder un film et de me détendre plutôt que de poursuivre les ruminations de l’après-midi.

J.-F. a envoyé un message pour me dire qu’il approuvait mon message et abondait dans le sens de ma (seule) intervention d’hier. S’il savait que je ne souscris ni à sa manière de faire cours aux élèves — je ne comprends pas qu’il puisse supporter tant de bavardages et de bruit — ni à avancer ainsi à marches forcées dans son programme, il serait sans doute très surpris, d’autant que ses exigences au plan des corrections et notre collaboration répétée a pourtant toujours eu mon assentiment. Nous nous entendons bien, lui et moi, mais je suis surpris de ses réactions, notamment au moment des mouvements de grève des mois derniers.

 

J’effectue une promenade jusqu’à la poste centrale. Je croise le facteur, qui officie sans gants ni masque — ce qui paraît incompréhensible, sinon criminel de la part de ses employeurs, dans le contexte de l’épidémie. Il paraît tout heureux de me saluer. C’est un jeune homme encore, au visage avenant. Je dis que ses tournées doivent manquer d’interlocuteurs à qui m’adresser.

Comme il est tôt, je profite du manque d’affluence pour acheter citron, oignons et bière dans la supérette de quartier. Le caissier, lui, a abaissé son masque bas et n’a pas de gants — ce qui relève de sa seule responsabilité.

La température, fraîche encore, est agréable. Je croise en chemin quelques voitures de police et de gendarmerie, trois policiers municipaux près des arrêts de bus. Mais jamais jusqu’à présent je n’ai été contrôlé.

J’appelle Simone, absente, et laisse un message sur le répondeur.

 

Après-midi

La nouvelle brosse à dents qui doit être désormais chargée paraît, quand je l’essaie, avoir une vitesse de rotation moindre que l’ancienne, laquelle — je m’en console donc — continue ses bons et loyaux services nonobstant sa défaillance passagère…

 

Sieste. Je dors une heure.

Je fais une lessive de vieux draps que je compte recycler en masques de fortune. De là à juger être contaminé par l’obsession sanitaire, je me prends à songer que le pas a déjà sans doute être franchi... Je nettoie d’ailleurs l’étendoir à linge avec une éponge neuve et de l’eau de javel. Alors que je cherche quelques élastiques qui feraient l’affaire, je tombe sur une boîte d’allumettes (vide) fournie sans doute par “la Cigale” lorsque j’étais fumeur encore.

 

1091 - Carnets d'un confiné (26)

J’appelle Marthe. Paul, quand il rentre de sa sortie avec le chien, prend le relais. De nous tous, c’est lui sans doute qui se plaint le plus.

 

Je reçois un message inattendu de JM en réponse à mon courriel du 29 mars :

 

Bien cher Romain,

Merci de penser à moi après autant d'années.

Jamais en envisageant le bien commun, je n'avais entrevu la possibilité d'une pandémie mondiale. Aujourd'hui, alors que je ne regrette aucun de mes choix, je me sens malgré tout trop vide pour y trouver un sens. Peut-être simplement parce que, face à cette merde, il n'y a pas de réel sens. Que des réactions ? Courir de réaction en réaction empêche de trouver une logique. Le sens aigu que j'ai eu du bien commun s'estompe à mesure que ma vie personnelle réussit. Quand rien n'allait, dédier ma vie aux autres me paraissait normal. J'ai, désormais que je suis heureux, des ambitions plus personnelles et moins altruistes. 

Je ne suis pas malheureux. Loin de là. Je suis seulement attristé de l'annulation de mon mariage du fait du contexte. Je me rassure en me disant que ce n'est pas une annulation mais simplement un contretemps.

Je t'espère en forme, confiné, sans fièvre sans toux et avec de bons bouquins (cette passion m'est restée intacte).

Au plaisir de te lire. 

 

Je reprends quelques exercices physiques, en tâchant de ne pas trop faire de torsions ni rotations de buste.

Simone me rappelle. Elle aussi se plaint de la monotonie qui s’installe dans des trajets autour de chez elle. Elle va s’entraîner dans son studio, fait des vidéos de barre (ce dont m’avait parlé B.). Le téléphone coupe rituellement au bout de quelque vingt minutes. Après la brosse à dents, celui-ci menace à son tour de tomber en panne. En contexte, ces imprévus matériels ne laissent pas de prendre au dépourvu…

Je me dis, après avoir appelé puis raccroché, que ce qui doit me manquer lors de mes promenades demeure avant tout l’impossibilité de les faire en bonne compagnie, ou pour retrouver des amis. Je supporte, en effet, autrement mieux la solitude — qui est mienne par essence — chez moi, chambre ou bureau. Je donnerais cher, en revanche, pour un verre avec Marthe et Paul, pour un restaurant avec T.

M.-C., qui a pris fait et cause pour Didier Raoult et sa chloroquine, interpelle les députés (en prenant appui sur une tribune d’un certain professeur Trouillas, dont le nom prête un instant à sourire). J’admire, comme toujours chez elle, son sens de la formule. (« J’ai écrit  à tous les élus de la FI — précise-t-elle — ; je vais essayer de faire toute l’opposition….. est-ce bien utile de s’adresser à la REM ? »)

 

Mesdames et Messieurs les député-e-s,

Il n’est plus temps d’attendre ! La France a besoin du seul traitement disponible  contre le COVID-19, mis au point par le Pr Raoult et préconisé par de nombreux médecins dans le monde entier. Chaque famille compte ses morts ! 

Vous devez agir et obtenir en notre nom la suppression du décret qui en limite l’accès ; veuillez prendre connaissance de l’initiative du Pr Trouillas, ci-dessous. Des stocks de Plaquenil et d’azythromycine doivent être commandés en urgence.

[…] [J]e tiens à préciser que ce traitement est utilisé sur de très longues périodes par les médecins qui prennent en charge le Lyme chronique (Pr Perronne et d’autres) sans dommage, dès lors qu’il est prescrit  par un médecin, lequel instaure la surveillance médicale nécessaire.   

La population est sidérée par  cette gestion apocalyptique de la crise,  qui tourne au cauchemar ; ressaisissez-vous de toute urgence !

Salutations  atterrées,

M-C. *****, confinée dans le Grand Est

 

Les collègues, qui multiplient les messages au sujet de l’apéritif virtuel de demain, font semblant de rien et remercient S. de mon « mémo de grammaire ». Je soupire à part moi. Mais je suis un peu déçu de l’attitude du jeune stagiaire : pour parade, je songe que je pourrais faire comme Julien Green en lui trouvant un vilain nez !

 

 

Soir

Je me couche plus tôt encore que les journées précédentes, après avoir revu les quarante-cinq premières minutes de la Princesse de Montpensier que m’a demandé d’enregistrer Valérie.

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