1167 - En attendant Vendémiaire (1)

Publié le par 1rΩm1

 

 

EN  ATTENDANT  VENDÉMIAIRE

 

JOURNAL EXTIME

 

(17-22 septembre 2020)

 

1

 

18 septembre

Matin

Evidemment, dans le train, des jeunes filles se sont affranchies du port du masque. Elles jacassent à qui mieux mieux — et mieux encore… Heureusement, elles mangeront bientôt, puis, occupées à je ne sais quoi, se tairont.

Je suis chargé — plus que nécessaire. Je me demande si j’ai satisfait à tout ce que je désirais accomplir avant de partir — et emporté tout ce dont j’avais besoin. Passant en revue ce que j’ai pris avec moi, je m’aperçois bientôt que j’ai oublié le livre préparé pourtant sur le bureau, ainsi que de quoi écouter de la musique. Je me passerai donc de celle-ci, et devrai toutefois me procurer de la lecture, ne serait-ce que pour meubler les trajets en métro.

L’agacement s’augmente encore de la subite déconvenue de me rappeler que j’ai pas non plus emporté le « pass » remplaçant les habituels tickets de métro, ce qui évite que ceux-ci se démagnétisent lors d'une accointance indiscrète avec des clés, cartes bancaires et autres puces électroniques qui accompagnent, quoi qu’on en ait, nos vies ordinaires désormais.

 

Après-midi

Rendez-vous est pris avec Judith pour l’exposition consacrée à Otto Freundlich, qu’elle-même a choisie — et pour laquelle j’ai réservé nos deux places quelques jours auparavant.

J’ignore depuis combien de temps je ne suis pas allé à Montmartre.

Les touristes sont vraiment peu nombreux. Je sacrifie donc à une photographie attestant ce peu de gens.

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Jattends Judith devant le musée. A cette adresse ont vécu — ou y ont fréquenté leurs pairs — des artistes prestigieux.

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Comme à l’accoutumée, Judith a dix minutes de retard.

L’exposition nous plaît — je découvre, en outre, un artiste que je ne connaissais pas —

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et nous prenons tout notre temps, ce qui nous console un peu du prix élevé de l’entrée, la maison et ses jardins étant par ailleurs agréables.

Outre les peintures, lesquelles font parfois songer à František Kupka, quoique dans une démarche moins radicale,

Fragments de figure à l’ensemble des plans, Huile sur toile

Fragments de figure à l’ensemble des plans, Huile sur toile

Composition, 1931, Huile sur toile, Musée de Pontoise

Composition, 1931, Huile sur toile, Musée de Pontoise

nous découvrons des vitraux superbes

1167 - En attendant Vendémiaire (1)
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ainsi qu’une mosaïque magnifique, intitulée avec la même munificence (je songe à Alain, à qui ce vibrant coup de chapeau avait de quoi ravir), Hommage aux peuples de couleur.

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Alors que nous déambulons, Pascal me téléphone, s’enquérant si l’eau a été rétablie dans l’appartement. J’ignorais qu’il y avait un problème à ce propos, mais le rassure : j’ai ouvert le robinet de la chasse d’eau à mon arrivée et pu prendre une douche chaude le matin.

Comme pour Max Jacob, Robert Desnos, … , les dernières années de l’existence d’Otto Freundlich ont fait de l’artiste et de l’homme une proie du nazisme, et, dans la dernière salle, je découvre une lettre du premier.

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1167 - En attendant Vendémiaire (1)

*  *  *

Nous allons des jardins de la maison aux vignes de Montmartre, que nous contemplons en contrebas, et nous promenons ensuite dans le quartier autour de la Place du Tertre, en pensant d’abord nous poser là mais nous installant finalement à l’angle de deux rues sur une terrasse de café sans prétention.

Judith m’interroge sur les circonstances précises de mon accident. Je raconte donc. Au cours de ma narration — et c’en est la première fois —, je suis tout à coup, tout d’un coup, saisi un court instant d’un souvenir délétère, dont j’ai oublié la teneur depuis, mais qui me produit une impression fort désagréable comme une impulsion électrique rançonnant tout mon être.

N. et elle ont passé, à divers endroits, d’agréables vacances, notamment à Belle-Île.

Alors elle m’offre une tablette de chocolat achetée sur place, destinée à remplacer celle dont un indélicat s’était emparé en éventrant l’enveloppe d'un courrier qu'elle me destinait, ce que je lui avais rapporté d'autant mieux que j'avais été intrigué de ce que celui-ci pouvait contenir...

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(L’ironie voudra que, au moment de refaire mes bagages au retour, j’oublierai son cadeau dans l’appartement de F. et Pascal, alors même que j’avais photographié le souvenir de son geste.)

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A sa demande encore, je lui donne des nouvelles de ma mère.

*  *  *

Nous visitons ensuite l’Eglise Saint-Jean de Montmartre, tout à la fois modern style, orientalisante et pionnière dans l’utilisation du ciment armé.

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1167 - En attendant Vendémiaire (1)

Mon attention est retenue par un vitrail représentant la Mort (plus précisément, apprendrai-je par la suite, du cavalier du quatrième sceau, lequel, flanqué de son cheval blême, annonce la mort).

1167 - En attendant Vendémiaire (1)

© Internet

ainsi que par les luminaires de l’endroit.

*  *  *

Puis nous remontons la rue Lepic et stationnons une seconde fois sur une terrasse.

Je lui narre alors comment T. a obtenu sa mutation à la faveur du poste que j’ai perdu, ce qui constitue un bénéfice indirect réel de ma situation — et comment, la veille, un relais s’est fait tout naturellement avec les élus de la liste indépendante de mon ancien établissement, avec lesquels il s’est senti de plain-pied, connaissant déjà les éléments les plus actifs d’entre d’elles et eux — et découvrant les autres dont je lui avais parlé auparavant.

Comme j’évoque l’installation retardée de la climatisation au cours de la deuxième quinzaine du mois d’août et le ménage qui s’en est suivi, Judith me raconte comment elle a aidé sa sœur aînée, victime d’un « syndrome de Diogène », à débarrasser l’incroyable capharnaüm de son immense appartement. Quoique cette manie qui consiste à récupérer et accumuler une quantité invraisemblable d’objets que d’autres laisseraient au rebut puisse inquiéter, nous rions beaucoup en reconnaissant en nous une propension, certes autrement bénigne, à vouloir conserver, sinon accumuler, toutes sortes d’objets superflus.

A sa demande, nous allons de concert jusqu’à Pigalle, où nous prenons tous deux le métro pour rentrer chacun chez soi.

Nous nous donnons rendez-vous lundi 21 pour l’exposition Turner au musée Jacquemart-André.

*  *  *

Durant tout l’après-midi, Judith n’aura soufflé mot des tensions entre N. et Lucien. Et je n’aurai eu garde de provoquer quelque confidence à ce propos, qui viendrait peut-être trop tôt et pourrait constituer un rappel importun de ce que Judith aurait eu plaisir à oublier durant notre échappée.

(à suivre)

 

 

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