1185 - Journal de l'hôpital (10)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Journal de l’hôpital

(25 mai - 5 juin 2020)

Journal d'un rescapé

Work in progress

10

 

1185 - Journal de l'hôpital (10)

 

29 [?] mai - 2 juin [?] 2020/ 11 mai 2021, sq.

Si, la veille, je me sens rasséréné par tous les messages que mes amis ont envoyés, je suis aussi passé par des moments particulièrement éprouvants — ce dont rend compte ce courriel adressé à T., écrit à une date indéterminée, mais qui me paraît remonter au week-end de la Pentecôte, en l’absence du professeur R., en effet. J'en livre ici la matière brute (comme j'en avais usé avec T., en photographiant les pages manuscrites de que j'avais écrit) et m’efforcerai ensuite d’en préciser tenants et aboutissants :

[T.],

Des hauts et des bas !

Des laventements [rectifié : lavements !] — en chiasme : un petit, deux grands, un petit ! (Horrible.) Journée d’hier + ce matin.

(Je [un terme caviardé] n’avais pas trop cœur à écrire…)

A*** [ajouté : est] dans le service (= l’amie de Pauline). Leur Son bureau est en partage avec trois autre orthophonistes.

On m’a enjoint à s’habitter habiller, ce matin. Je ne sais savais que ce trop c’était possible. Il l’avait [ajouté : fait] volontiers. Je suis coupé les ongles. Je trottais trotte dans les [un terme inachevé et caviardé] couloirs. Rien d’autre à faire !

Voilà à quoi [ajouté : ressemblent] les [un terme inachevé et caviardé] messages à l’état brut. Avec mainte hésitation !

Cela va bien trop vite [ajouté : pour autant] que sur un traitement de texte ! C’est dire…

L’index est beaucoup trop sûr que il y a quelques jours… pour écrire.

(Je vois l’ergothérapeute demain — pour la deuxième fois. Et, j’espère, l’orthophoniste [j’ai copié le mot pour aller plus + vite !). Je me ne suis fait en demande que [un terme incertain et rayé] de cela :) … )

Amitiés.

Romain

PS Donne des nouvelles. J’ai écrit un petit SMS à [M.-C.].

J’ai fait déjà une allusion à la constipation à propos de laquelle, les jours passant, je m’inquiétais de plus en plus parce que je songeais à Neisha, la mère de Simone, qui avait souffert, dans les derniers temps de sa vie, d’une occlusion intestinale et avait été à deux doigts d’être opérée.

Cela faisait donc cinq ou six jours que je n’étais pas allé à la selle. Je m’en étais ouvert à une infirmière ou une aide-soignante du service des urgences où j’ai séjourné jusqu’à la journée du jeudi1, qui s’était montrée surprise : comme il s’agit d’un mal ordinaire chez les patients hospitalisés, l’on m’avait fait ingurgiter en même temps que les nourritures moulinées auxquelles j’avais droit je ne sais quelle pâte rose ou rougeâtre — si j’ai bonne mémoire quant à la couleur, et je crois me souvenir qu’on m’en avait expliqué l’usage en précisant que cette pâte était à base de paraffine —, tant et si bien que mon transit intestinal aurait dû se réguler.

*  *  *

Il y avait dans le service une aide-soignante qui se montrait particulièrement désagréable à mon égard, sans que j’aie pu en comprendre la raison. C’est sur un ton rogue qu’elle me parlait, tandis qu’elle était autrement avenante, d'après ce que j'en pouvais en entendre au-delà de ma porte de chambre, envers d’autres que moi. Je tâchais pourtant d’être aussi aimable que possible ; mais sa brusquerie, sinon son acrimonie, semblaient s’accroître en proportion inverse de mes efforts.

Comme je m’étais plaint de cette constipation, exceptionnelle à mes yeux, elle avait surgi le matin du jeudi1 dans mon cabinet de toilette, m’avait enjoint d’écarter les jambes — et m’avait fiché prestement dans l’anus le premier lavement qu’on m’ait jamais administré, sans m’en prévenir au préalable. Elle m’avait dit de garder cela durant un quart d’heure (ou ne l’avait-elle pas dit ? je peux, en effet, confondre les épisodes de la quadrilogie2), et, bientôt saisi de spasmes, inexorables et fort douloureux, du colon, j’avais chié… ce qui n’était finalement qu’un liquide décevant, lequel m’avait laissé tout à fait mortifié de son manque de matière fécale !

-=-=-=-=-=-=-

1Peut-être était-ce plutôt le matin du vendredi, si j’en crois le message au professeur R. reproduit ci-après.

2A lire le même message, cette saga intestinale aurait comporté cinq épisodes — et non pas quatre, comme je le croyais en retranscrivant mes notes, nécessairement lacunaires, n’étant guère en état de tenir mon journal de bord.

*  *  *

Trois [?] autres (lavements) suivirent. Sans plus de résultats. Ce n’est d’ailleurs que la dernière fois qu’on m’expliqua comment procéder : garder le plus longtemps que je pouvais le liquide injecté, c’est-à-dire, en l’espèce, serrer les fesses le plus possible pour qu'il ne coule pas, alors que les boyaux semblaient se vriller jusqu’à l’insupportable. Les trois [?] récidives, je les ai opérées par mes soins, mes interlocutrices successives (sur l’ordre du professeur cependant, auquel je m’étais ouvert [sic — et cum grano salis]) ayant eu l’humanité de me suggérer d’introduire moi-même l’instrument du supplice.

Entre-temps, comme la marche m’avait été prescrite comme remède souverain à mon mal, j’arpentais à qui mieux mieux les couloirs, espérant ainsi mon salut. Dans ce service neurologique où les patients étaient cloués au lit, quand les autres malades m’apercevaient de leur chambre, leurs regards en coulisses semblaient tancer l’incongruité de mes allées et venues de péripatéticien forcené. Mon voisin de chambrée, d’ailleurs, jusqu’au jour où il a pu remuer quelque peu ses membres du côté gauche, se montrait jaloux de mes pérégrinations, arguant que mon état lui paraissait plus enviable que le sien… Bref, la honte pouvait m’éteindre, je poursuivais, impavide, ces déambulations à huis clos (à peine si je m’aventurais au-delà de la double porte du service le long d’un couloir en chevron le séparant de l’aile, laquelle semblait vide, d’un autre service dédié à l’observation du sommeil) pour ingrates et monotones qu’elles fussent — sans résultat, toutefois, sauf, le lundi de Pentecôte (!), un mince ruban qui faisait illusion, mais qui ne s’était accompagné d’aucun véritable débouché (!) par la suite.

* * *

Au lendemain d’un week-end interminable, j’adresse ce message écrit (les difficultés d’élocution et les difficultés à trouver les termes idoines empêchant de procéder autrement) au médecin. Dans l’impatience de sa visite — après la journée de dimanche, nulle et non advenue comme dans tous les hôpitaux, aggravée d’un jour férié — j'avais guetté fébrilement sa venue.

Le professeur R., avant d’avoir lu de quoi il retourne, plaisante en demandant en l’espèce (je ne saurais citer, naturellement, littéralement !) : « c’est pour moi que vous avez écrit tout ça ? comme c’est gentil ! » :

Je me rends compte que ce n’étaient [ajouté : pas] des vraies selles hier soir : c’était trop peu, en trop petites quantités.

Cependant, [une lettre biffée] s’il n’y pas de signe d’occlusion [trois tentatives, biffées, d’écrire le mot suivant] intestinale — c’était rassurant et [deux mots biffés] c’est l’essentiel

J’ai subi cinq [?] lavements — l’un vendredi [?] matin, quatre [trois, en vérité ?], dimanche et lundi — un « petit », deux « grands », à nouveau un « petit »… c’était trop pénible.

Je préfère attendre et un peu, tant que ça pas [ajouté : ne] soit pas dangereux !

Je tente par la suite de noter le nom d’un remède dont je n’étais pas certain, qui consistait en des sachets de grains de lin — et ajoute sur la même double page ces considérations triviales, toutes dédiées à cette situation qui me laissait particulièrement angoissé :

Toujours contispé constipé

Mal au ventre ce matin !

sachet de movicol (ce matin)

A part des selles en quantité réduite (l’équivalent du doigt) 7 j. de cont constipation

*  *  *

Bref, mon ventre accaparait alors nombre de mes pensées…

Pour ce qui est la mention de l’ergothérapeute dans le message adressé à T., elle me rappelle combien les doigts de la main droite — surtout l’index en tant qu’il sert à pincer avec le pouce afin d’écrire — échappaient à ma prise, le crayon volant à terre et nécessitant maint ramassage obstiné.

Du pouce au majeur, tout en pouvant remuer la main, l’insensibilité était patente. Tandis que je marchais dans le couloir, je m’entraînais à la bouger, à effectuer des déplacements d’un doigt à l’autre, d’un doigt sur l’autre, afin d’en éprouver la pulpe, l’intensité du frottement autant que le trajet, aussi rectiligne et contrôlé (force et vitesse) que possible.

De fait, après quelque temps, l’index et les autres doigts s'étaient montrés bien plus (et non pas « bien trop ») fermes dans leur saisie des objets, et je parvenais à serrer le stylo sans trop le faire tomber.

*  *  *

Aujourd’hui, les doigts défaillent parfois encore. Au piano — la meilleure ergothérapie que j’aie pu prescrire pour eux, quitte à massacrer Chopin —, je compense leur manque partiel de sensibilité par la douceur ou la force que je mets dans le geste. Les doigts flanchent et trébuchent, se mélangent ou interfèrent quoi que j’en aie, réduisant à rien, ou peu, toutes mes ambitions pianistiques…

 

 

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