1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Et en attendant d’autres Espagnes…

 

(Paris - Madrid - Tolède - Madrid - Paris)

 

Journal extime

 

(10 mai - 22 mai 2022)

 

9

 

17 mai 2021

Matin

Je mets en ordre l’appartement avant de prendre le train pour Madrid.

Arrivé Puerta del Sol, je reconnais les lieux, j’aperçois l’immeuble où nous avions séjourné dans l’une des chambres d’hôtes qui pavoisait — à l’époque — sous une bannière aux couleurs de l’arc-en-ciel gay. C’est R. qui avait trouvé le logement. Je me souviens que nous étions ravis de débarquer du métro et de trouver ainsi si facilement notre résidence, qui plus est en plein cœur de Madrid.

En vérité, l’immeuble de mon logeur n’est guère éloigné, dans une rue piétonne qui part de là. La porte d’entrée devant laquelle j’envoie mon message avertissant que je suis arrivé s’avère magnifique. Et, ce qui ne gâche rien, le beau trentenaire qui m’accueille bientôt est muy simpaticó (pour ne pas dire bien davantage ¡). Il me pousse dans un ascenseur vénérable, m’évitant les marches avec armes et bagages d’un étage, m’accueillant à nouveau sur le palier, puis, me faisant les honneurs des lieux, m’installe dans une chambre déjà toute prête.

Nous conversons dans un sabir mi-français mi-anglais et je suis conquis par ses beaux yeux clairs et son clair sourire. Muy simpaticó vraiment ! il me fait regretter d’ânonner et ne pas parler couramment espagnol ¡ Comme il travaille sur place, je pourrai laisser mes bagages demain, après avoir libéré la chambre avant midi.

 

Après-midi

Je suis bientôt en route vers l’Escurial, dans un bus qui m’y mène en moins d’une heure.

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

Comme je respire vraiment très mal sous le masque censé pouvoir être porté quatre-vingts heures, aussitôt que descendu, j’achète un masque chirurgical dans une pharmacie.

*  *  *

A peine ma visite commencée, je me vois interdire toute photographie. J’ai toutefois le temps de capturer deux Ribera.

Jose de Ribera (1591-1652) , Entierro de Cristo

Jose de Ribera (1591-1652) , Entierro de Cristo

Jose de Ribera, La Santisima Trinidad

Jose de Ribera, La Santisima Trinidad

Mais je dois renoncer au Martyre de saint Laurent du Titien, dont je note les références

Tiziano, El martirio de San Lorenzo, Monasterio de El Escorial, Iglesia Vieja, segunda versión, 1564-1567 [celle conservée à Venise à l’Église des Jésuites datant de 1558]

Tiziano, El martirio de San Lorenzo, Monasterio de El Escorial, Iglesia Vieja, segunda versión, 1564-1567 [celle conservée à Venise à l’Église des Jésuites datant de 1558]

ainsi qu’aux deux versions de l’Adoration des bergers du même Ribera dans une même salle, dont je trouverai la trace, mais nullement de reproduction, sur Internet.

Ainsi ira-t-il d’autres tableaux : la Vierge, l’Enfant et saint Sébastien de Garofalo, Esther devant Assuérus du Tintoret, la Cène du Titien et la Création de Jérome Bosch…

Reproduites ci-après, j’ai néanmoins pu retrouver sur la toile certaines œuvres qui m’avaient plu :

Joachim Patinir, San Cristóbal, 125 x 190 cm, Óleo sobre tabla, Monasterio de El Escorial

Joachim Patinir, San Cristóbal, 125 x 190 cm, Óleo sobre tabla, Monasterio de El Escorial

Diego Velázquez, La tunica de José, 1630, 323 x 250 cm, Óleo sobre lienzo

Diego Velázquez, La tunica de José, 1630, 323 x 250 cm, Óleo sobre lienzo

Doménicos Theotocopuli, llamado El Greco (1541-1614), El Martirio de San Mauricio y la legion Tebara, 1580-1582, 445 x 294 cm, Óleo sobre lienzo

Doménicos Theotocopuli, llamado El Greco (1541-1614), El Martirio de San Mauricio y la legion Tebara, 1580-1582, 445 x 294 cm, Óleo sobre lienzo

El Greco, Adoración del nombre de Jesús [ou :] La Gloria de Felipe II] 1577-1579, 140 x 110 cm, Óleo sobre lienzo

El Greco, Adoración del nombre de Jesús [ou :] La Gloria de Felipe II] 1577-1579, 140 x 110 cm, Óleo sobre lienzo

tandis que dans une petite salle où personne ne me surveille, je photographie des Veronese (encore le maître a-t-il se copier — ou quelque artiste de son atelier — car il me semble avoir déjà vu, peut-être en Italie, cette représentation de la Trinité, de la même façon que j’avais vu quelques jours auparavant celle de Ribera du Prado, cette dernière reproduite à l'identique), ainsi qu'un Titien.

Paolo Veronés, Dios Padre y El Espiritu Santo

Paolo Veronés, Dios Padre y El Espiritu Santo

Paolo Veronés, Descendemiento de la cruz

Paolo Veronés, Descendemiento de la cruz

Tiziano Vecellio, Ecce Homo

Tiziano Vecellio, Ecce Homo

 

Je ne me souvenais que confusément du Panthéon royal, situé dans les étages souterrains du monastère, à ceci près que soufflait, lors de ma précédente visite hivernale, un froid glacial auprès des tombeaux du personnel royal qui repose là — et que je revois les lieux sans vraiment me laisser impressionner cette fois.

Et, même si je me montre sensible aux tapisseries exécutées d’après des cartons de Goya dans le Bourbon Palace King’s Room, je presse le pas dans les appartements royaux, tant et si bien que le parcours me paraît bien moins long que ma mémoire n’en avait conservé le souvenir — et que je prends le bus du retour dès 15 heures 40.

Dans la rangée de sièges avant celle où je me suis installé, un jeune homme porte la même chemise que celle j’avais achetée à Porto (et dont j’avais sur place fait raccourcir les manches). J’en reconnais la nuance de bleu pâle, le galon et les boutonnières, le tissu gaufré. Je trouve, à la voir portée, que c’est une chemise élégante ¡ ; en tout cas, elle sied audit jeune homme.

 

Fin d’après-midi

Rentré à Madrid, je cède enfin au farniente. Je me repère et promène dans le quartier où j’ai choisi un restaurant pour le soir, l’heure du dîner espagnole étant lointaine encore. Je m’aperçois, en passant devant elle, que la sorte de pension aux couleurs de l’arc-en-ciel où nous avions séjourné ne se trouve pas exactement, comme je le croyais, sur la Puerta del Sol, mais Carrera di San Jeromino.

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

Je vais ainsi jusqu’à la Place Sainte-Anne, honorant d’une photographie le souvenir de Federico Garcia Lorca.

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

Je flâne ensuite tout en convoquant mes souvenirs jusqu’à la Plaza Mayor, laquelle ne se montre pas sous son meilleur jour à l’heure où l’on sort, semble-t-il, les poubelles,

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

poursuis jusqu’à la Place de San Miguel, l’ancien marché étant devenu le temple des tapas.

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

De beaux immeubles se désignent à ma vue au coin de la place, ainsi que Calle Mayor.

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

 

Soir

Il est bientôt 20 heures 15, moment auquel ouvre le restaurant, dont me plaît le menu a priori. Si l’entrée — deux saveurs de houmous, dont je ne sais à quoi est due l’une, rouge d’un incarnat qui s’apparente à du concentré de tomates — est bonne, le plat de résistance déçoit un peu, car, si les saveurs — thaïes — flattent le palais, le riz et le poulet s’avèrent un peu secs. Les vins — un rosé, puis un rioja rouge — sont excellents, au même titre que la crème catalane en dessert.

Mettant des derniers pas dans mes pas, je sacrifie à quelques clichés nocturnes

1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)
1432 - Et en attendant d’autres Espagnes… (9)

avant de rentrer, peu après après 22 heures chez mon logeur.

José Alberto est en train de se préparer à manger (du poulet, explique-t-il) tout en hachant de l’ail. Notre conversation, approximative, mâtinée de français et d’anglais, voire d’un sabir italien-espagnol que j’improvise ou invente, s’anime à mesure.

Il me dit n’être jamais allé à l’Escurial. Il me propose une glace — proposition que je décline, arguant que j’ai trop mangé. Je sors du réfrigérateur une bière et demande un verre. Il identifie une bière étrangère — « belge », précisé-je. Il sort alors d’un placard un verre à Kwak, et je décline à nouveau son offre en arguant cette fois que je ne veux pas le casser. Il me parle de « sa copine », une Française native de Lille. Il y est peut-être allé, ou tout au moins en a entendu parler — je ne parviens pas à le déterminer — puisqu’il évoque sa braderie.

Je l’informe que je quitterai la chambre demain vers 10 heures. Lui, ne sait s’il sera sur pied. Puis il se ravise : il sera levé. Et s’occupera de me garder mon bagage.

Etc. Je ne sais trop, au vrai, que ce que nous nous disons, tant bien que mal, puisque je fonds de tout moi sous mon charme — lequel n’est pas moins entier, de la tête aux pieds.

Après réglé les modalités de mon départ, j’écourte toutefois la conversation, non sans demander si je peux en mettre en route le climatiseur.

Alors que je parviens de m’arracher de cette cuisine arrive une jeune fille croisée durant la matinée. José Alberto se montre tout aussi liant avec elle, et une nouvelle conversation se noue, d’autant plus aisée que celle-ci a lieu en espagnol. La jeune fille rit beaucoup. A l’évidence, le charme de son interlocuteur opère autant sur elle que moi… Elle a, cependant, le double avantage de la langue et de l’hétérosexualité. Que de gloussements (on dit de Charlus devant Jupien, mais il est d’autres roucoulades et roucoulements… !)

Quand, ayant achevé mes ablutions, je reviens de la salle de bains, je n’entends plus personne. Enfin seul.

Je me mets la tête hors de l’eau, ou pour tout dire : hors du beau José Alberto…

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article