570 - Janvier 2015 [journal tressé] (9)

Publié le par 1rΩm1

 

 

570 - Janvier 2015 [journal tressé] (9)

 

19 janvier [suite]

Vient le moment que je redoutais. C’est lui — naturellement… — qui lance la conversation, à propos de Charlie-Hedbo. Et c’est pour m’asséner une théorie du complot — relayée par le père ! — comme quoi l’attentat aurait été commandité par le Mossad pour faire croire à un acte antisémite.

Je dois avoir l’air consterné, d’autant que, sur le moment, je crois à une incohérence, puisque c’est bien de la rédaction du journal satirique dont il parle et non du supermarché casher. Et lui de m’expliquer, ce que j’étais à ignorer, que Charb, le directeur du journal, était juif. Je réagis malgré tout vivement, m’évertuant à montrer la fragilité (pour le moins !) de son allégation.

Il bat quelque peu en retraite, mais pour renchérir sur les incohérences, selon lui, de la liberté d’expression française, qui interdit de soutenir des opinions négationnistes quant à la Shoah ou au génocide arménien, et fait deux poids deux mesures entre, d’une part, l’esprit Charlie, porté aux nues (en précisant, qu’il ne l’aimait pas, ce qui ne m’étonne guère…) et l’humour de Dieudonné.

C’est la fin du repas — j’ai soigneusement évité ce sujet de conversation jusque lors ! —, mais je n’ai pas les idées encore suffisamment brouillées pour ne pas pouvoir répliquer : je me lance donc dans un (court) exposé sur les différences entre la liberté d’expression, strictement encadrée en France qui empêche qu’on puisse soutenir n’importe quoi, et la façon dont les Américains conçoivent celle-ci de l’autre côté de l’Atlantique (quitte à flouter, ajouterais-je aujourd’hui, la dernière couverture de Charlie Hebdo et pratiquant une autocensure d’assez mauvais aloi, d’autant que la couverture du 14 janvier ne tenait ni de la caricature, ni du blasphème, mais bien plutôt du pardon chrétien, idée qui ne me serait personnellement jamais venue, ayant sur la question du pardon à l’horreur une position à la Jankélévitch !) ; quant à la différence entre esprit satirique et propagande ou appel à la haine, j’ai évidemment beau jeu… J’explique aussi — je ne dois pas être très précis, mais au moins l’articulation vient à propos — ce que signifie la laïcité stricto sensu, dont je sais qu’elle est mal comprise des Américains en général, qui n’y entendent pas grand-chose.

Cependant, Duncan, s’il est un indécrottable antisémite, n’est pas totalement stupide et ne vient pas de traverser l’Atlantique de la veille — il a la double nationalité, m’a dit plus tôt concevoir son avenir en France plutôt qu’aux Etats-Unis : il bat donc à nouveau prudemment en retraite, admet que le paternel n’a pas toujours raison, tout en arguant que, sur le chapitre du génocide arménien, nous ne devrions pas donner de leçon à la Turquie (si j’ai bien suivi) ! C’est moi qui cède du terrain alors, ne serait-ce que parce que je sens que la conversation pourrait s’achever sur un point d’orgue… (Non seulement, Duncan  a une ascendance turque de toute façon — et pas seulement du fait de sa mère adoptive ou de son second prénom, mais je ne saurais soutenir une argumentation sur un sujet que je connais mal…) Mon argumentaire sur la liberté d’expression que soutient la laïcité a-t-il porté — j’ai argué du droit de se moquer de toutes les religions pour la première, mais aussi du droit d’être athée pour la seconde (je sais qu’il n’est pas croyant, ce que d’ailleurs il me répète) ? toujours est-il qu’il bat en retraite à nouveau, et que nous finissons même par trouver quelques points d’entente (très provisoires sans doute !). Car je lui fais cette concession que François Hollande n’aurait sans doute pas dû, au nom de la laïcité à la française, faire ce show médiatique dans une synagogue, s’il pouvait y laisser aller (seul avec quelques caméras) le premier ministre israélien — tout en précisant que Nicolas Sarkozy aurait pu attendre de ne plus être Président de la République pour faire sa génuflexion devant le pape ! (Je lui précise, cependant, que j’ai trouvé très pertinent l’éditorial de Charlie Hebdo, réaffirmant haut et fort les valeurs de la laïcité…) J’ajoute que je n’ose imaginer ce qui se serait passé si les attentats des 7 et 9 janvier avaient eu lieu sous la présidence dudit Nicolas Sarkozy… Duncan, bon seigneur, conclut en me disant qu’il doit être un homme du centre. Je n’ai pas la présence d’esprit de lui rétorquer qu’avec François Hollande il n’y a rien à ajouter ! D’ailleurs, et c’est heureux, nous n’ajoutons rien non plus sur ce sujet…

(à suivre)

 

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