647 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (25)
11 août
Matin
Je me livre activement au ménage dans l’appartement de Judith et N.
Je déjeune avec François. (Il m’avait laissé choisir l’endroit où nous retrouver, puis, sur ma proposition d’un lieu, avait finalement dit préférer aller dans un restaurant qu’il connaissait. Cela m’avait presque plus irrité qu’amusé : pourquoi ne pas d’emblée m’imposer cette adresse, puisque je lui avais demandé s’il avait une préférence ? Nous nous retrouvons tout près de l’appartement que j’avais loué auprès de V., tout près de Voltaire.)
Il me dit refaire la maison— dans l’idée de la mettre en vente bientôt.
Il y travaille avec C. Ses yeux s’embuent quand il me dit qu’il est difficile de la côtoyer dans cette situation. Elle, loue un appartement dont le loyer s’élève à 2000 €. Lui, qui n’aura pas pareils moyens, se cherchera un deux-pièces.
Alors que je lui présente des excuses pour l’avoir fait se déplacer jusque Paris, il m’assure qu’au contraire cela lui a fait du bien de venir à vélo, qu’il voit peu de gens, qu’à cette période tous ses amis ou presque sont absents, d’autant que sa fille a depuis peu emménagé avec une amie.
Lorsque je suis arrivé, je l’ai trouvé devant un verre. Il en recommande un autre. Puis, pour nous deux, un pichet de 50 centilitres. Quand celui-ci est vide, il propose d’en demander un nouveau, de 25. De tout cela, il s’abreuve largement, avant de se recommander un dernier verre.
Il lit avec passion une biographie de Flaubert.
Il dit qu’il partira en vacances l’an prochain.
J’effectue mentalement une addition de tous ces faits et paroles pour conclure, non sans un sentiment d’impuissance, que François ne va pas mieux que les fois précédentes.
Nous avons un petit différend quand, à propos de ma mère, il prétend qu’elle doit être un moteur pour mon père. Je tente de lui faire entendre l’inverse — ce que je crois, car comment s’épanouir auprès de cette mutilée de la parole, voire de bien des gestes simples du quotidien qui la laisse sans prise ? —, mais ne suis pas bien certain qu’il ait admis — ni même compris — mon point de vue.
Il fait chaud. Autant que le soleil et telle une chape sur la tête, le vin bu pèse.
Il faut aussi que je m’occupe du repas du soir, qui m’apparaît brusquement comme une corvée.
Soir
J’ai cuisiné (donc) pour le retour de Judith, N. et les enfants.
J’ai cherché le catalogue de l’exposition Leiris & Co, que nous avons vue en juillet : il n’en restait qu’un seul exemplaire, abîmé. J’ai renoncé à l’acheter, en songeant que je laisserais cinquante euros aux bons soins de Judith pour les enfants.
Quand j’arrive rue F***, Judith arrose ses bégonias. Elle m’accueille très gentiment.
N. passe. Les enfants sont invisibles.
On dîne enfin. Laure s’avère beaucoup plus souriante à mon égard que les fois précédentes. Elle a dû tout de même apprécier son échappée à Nancy, Metz et Strasbourg avec ses parents et moi.
Judith, qui m’interroge, se montre pleine de sollicitude pour Francis, rentré, selon elle, deux jours plus tôt qu’il n’avait prévu. Je raconte notre incroyable équipée jusqu’à la gare Montparnasse. Elle s’en amuse, tout en se disant inquiète de la santé de son ami.
Je raconte l’appartement de Vienne, mon logeur et ses mystères, ce que les lieux et les objets — dont ces multiples figurines de lapins — semblent dire de lui. Quand, m’adressant à Lucien, je mentionne la collection complète des Simpson — il avait téléchargé des épisodes illégalement en Allemagne chez son correspondant, et la famille qui l’a hébergé est poursuivie et devra s’acquitter d’une amende de plusieurs centaines d’euros —, la plaisanterie que je fais alors, que je voulais complice et amusée, jette un froid. Même N. et Judith marquent un temps d’arrêt. Je ne voulais évidemment pas vexer Lucien, et regrette ma saillie.
N., lui, se montre plus loquace qu’il n’est d’ordinaire. Il me parle de la tombe de Mahler. Je montre les photos prises à Vienne du carré des musiciens.
Il nous fait écouter un morceau de Schoenberg (ou de Berg ?) en hommage à Mahler après la mort de ce dernier…
C’est moi qui prends congé : le trajet de la rive gauche à la rive droite est long, puisque, plutôt que de dormir dans le studio de N. et pour me rapprocher de la Gare de l’Est, j’ai préféré transférer mes bagages et passer la nuit chez Pascal et F…
12 août
Je découvre un petit mot dans la plaque de chocolat :
Romain,
C’est moi qui a mangé un carré de chocolat… je suis comme le hamster de l’appart de tes amis. Bises. F.
Je m’en amuse et laisse, de mon côté, un petit mot sur une carte postale représentant un buste dans le goût Belle Époque de Sissi — achetée pour F., précisément.
Je n’ai pas réussi à replier le canapé-lit dans lequel j’ai dormi. J’en suis contrarié. Je ne sais d’ailleurs pourquoi j’éprouve toujours si fortement ce besoin après mon passage d’effacer mes traces…
Je jette dans la poubelle de l’immeuble la vieille paire de draps troués que j’avais emportés avec moi début juillet pour dormir chez F. et Pascal — ne voulant d’aucune sorte alourdir mes bagages au retour.
C’est d’ailleurs le cœur léger que je m’en vais, content de savoir que je dînerai avec T. le soir même, façon de reprendre en quelque sorte de douces habitudes…
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Je ne sais d’ailleurs pourquoi j’éprouve toujours si fortement ce besoin après mon passage d’effacer mes traces…
A ce sujet, mon logeur autrichien aura laissé sur le site de location un commentaire qui me fait frémir un instant :
One of the best guests I ever had ! Romain was very friendly and cleaned up the whole place before he left — which, of course — he didn't have to! Made things a lit easier for me — thank you very much ! You're welcome to my place at any time !